Le rôle d’agent de liaison constitue, avec celui de secrétaire, la fonction où les résistantes étaient généralement cantonnées par les responsables des organisations, qui étaient en très grande majorité des hommes. Ces derniers jugeaient sans doute que les femmes disposaient des atouts nécessaires (le légendaire charme féminin, utilisé en tout bien tout honneur !) pour déjouer la surveillance de l’occupant. Ainsi la scène de la jeune fille transportant des messages cachés dans le guidon ou la tige de selle de sa bicyclette a largement été diffusée au point de devenir aujourd’hui une image caricaturale. En revanche nous connaissons moins l’action militaire des femmes au sein des réseaux de résistance. L’étude de l’engagement de la jeune résistante Paulette Depesme, originaire de Joigny dans l’Yonne, est donc l’occasion d’appréhender une forme d’action de résistance plus rare, mais pas moins risquée, à savoir le convoyage des aviateurs alliés.
Paulette Depesme, née en 1921, n’affiche pas de réelles convictions politiques lorsqu’elle entre en clandestinité par l’intermédiaire de son ami d’enfance Pierre Charnier . Mais l’Occupation, avec son lot de servitude et de privations, lui pèse. Cette jeune institutrice est peu à peu gagnée par l’ennui et le désir d’action. Alors, pour justifier auprès de ses parents son départ pour Paris au début de septembre 1943, elle affirme y avoir obtenu un emploi de journaliste, tout en précisant que « l’enseignement n’a plus rien d’attrayant » . En fait, Paulette Depesme, devenue « Françoise », intègre le réseau Bordeaux-Loupiac. Créée en mars 1943 par le BCRA , cette organisation a pour fonction de récupérer et de rapatrier en Angleterre des aviateurs alliés abattus au cours de leur mission. Le réseau se développe au printemps 1943 sous l’impulsion de deux hommes, Jean-Claude Camors (« Raoul ») et Jean-Louis Monsorret (« Morvan »), qui s’attachent à créer des filières dans les régions situées sur les grands axes ferroviaires.
Le rôle de Paulette Depesme au sein du réseau était minutieusement organisé. Tout d’abord, il fallait entrer en contact avec les aviateurs. Cela nécessitait donc une opération de repérage au cours de laquelle, « on devait solliciter les civils qui savaient où se cachaient les pilotes.» Ensuite, il fallait organiser le convoyage vers les lieux d’hébergement, « nous disposions d’un appartement à Issy-les-Moulineaux, Pierre Charnier se débrouillait pour le ravitaillement…», puis vers la Bretagne où les aviateurs étaient rapatriés vers l’Angleterre. Voyageant en train, les risques étaient grands pour une « fille seule au milieu de six grands garçons », ces derniers munis de faux papiers et ne parlant pas pour la grande majorité le français. Ainsi par exemple, lors d’un voyage entre Paris et Rennes, alors que «Françoise» occupait avec quatre pilotes un compartiment, trois officiers allemands s’y installèrent. Heureusement, ils ne prêtèrent aucune attention à leurs voisins, certains s’étant même endormis.
Une antenne du réseau a fonctionné dans notre département de septembre à octobre 1943. L’Yonne avait le double avantage d’être proche de Paris et d’être traversée par la voie ferrée du PLM (Paris-Lyon-Marseille). Les membres du réseau accueillaient les pilotes à Cézy, petite gare discrète située au nord-ouest de Joigny. Dans ce département rural, les agents connaissaient des paysans tout disposés à accueillir des pilotes. Ainsi Pierre Argoud, vétérinaire à Aillant-sur-Tholon en a caché un nombre important chez lui avant de les placer dans des fermes aillantaises.
A partir d’octobre 1943 l’organisation prend de l’ampleur, les convoyages se multiplient. Mais le 11 octobre 1943 Camors, dénoncé, est assassiné dans un café de Rennes et Rémy Roure qui l’accompagnait est arrêté. « Françoise », présente ce jour là, échappe au coup de filet avec beaucoup de chance puisqu’elle se trouvait aux toilettes lors de la fusillade. De retour à Paris, isolée, la jeune femme tente de renouer le contact avec les autres membres du réseau mais l’organisation est rapidement démantelée et la Gestapo la recherche. Un contact la met en relation avec Jacques Jourda (« Jacquemin »), responsable du bureau de liaison des MUR . « Françoise » est chargée de la réception et de l’expédition du courrier en zone Sud. Cependant, toujours recherchée et craignant de plus en plus pour sa sécurité, elle décide de se réfugier à Troyes à la fin de janvier 1944 puis chez ses parents à Joigny en juillet 1944.
Après la Libération, Paulette Depesme reprend son métier d’institutrice, effectuant divers remplacements dans le Jovinien avant d’obtenir un poste définitif à Paris. Mariée puis déçue par l’Education nationale qui, selon elle, «n’a pas davantage considéré à leur juste valeur les résistants », elle part enseigner en Afrique noire comme professeur de lettres puis devient principale d’un collège de l’île de la Réunion jusqu’à sa retraite en 1984.
Au total, le réseau Bordeaux-Loupiac a récupéré près d’une centaine d’aviateurs alliés, en majorité des Anglais mais aussi quelques Américains et Néo-zélandais. Dans l’Yonne, l’antenne qui n’a fonctionné que pendant deux mois a permis d’héberger une vingtaine de pilotes. Si ces derniers n’ont séjourné en moyenne qu’un mois en France, certains ont tenu à remercier le dévouement de leurs courageux convoyeurs. Ainsi en 1947, Paulette Depesme a eu l’agréable surprise de recevoir une lettre du pilote américain Jack Ryan qu’elle avait convoyé quatre ans auparavant !
Thierry Roblin (Extrait du bulletin, Yonne-Mémoire, mai 2007)