Evènements

Cette rubrique se propose de vous faire découvrir une sélection d'évènements qui ont marqué l'histoire de notre département de 1940 à 1945.

6 novembre 1945 : Emile Philippot, maquisard FTP, est condamné à vingt ans de travaux forcés

Stèle du maquis Vauban auquel appartint Emile Philippot.

Emile Philippot (« La dragée »), né en 1921, est le septième enfant d'une famille qui en compte neuf. La famille Philippot habite à Ravières. Tous sont carriers ou tailleurs de pierre, et communistes. Emile, le père, est avec son aîné Louis l’un des fondateurs, en novembre 1942, du groupe des sédentaires FTP de Ravières, noyau du maquis FTP Vauban. 

Emile (le fils) est réfractaire au STO et l’un des premiers hommes du maquis Vauban qui ne compte à l’origine qu’une dizaine d'hommes. Cet engagement correspond par ailleurs totalement à son caractère impulsif et à sa réputation de « tête brûlée ». Il participe dans la nuit du 30 avril au 1er mai 1943 aux deux déraillements organisés par le maquis Vauban puis à la mission près de Joigny, le 10 mai, au cours de laquelle il abat un soldat allemand. Il est arrêté le 20 mai 1943 avec trois camarades par la gendarmerie de Brienon, en possession de l’arme du soldat allemand tué. Interrogés par le commissaire spécial Grégoire, les captifs sont simplement inculpés de « vol de sucre » et incarcérés pour trois mois. Emile est expédié à Dijon pour y être transféré en Allemagne. Il s'évade le 29 mai, rejoint Ravières et le maquis Vauban où ses rapports avec son frère Louis s'enveniment rapidement, au point de lui faire quitter ce maquis. Il n 'est pas aisé de savoir s'il le fait avant ou après avoir échappé à la souricière allemande qui aboutit, le 6 septembre 1943, à l'arrestation de son père et de trois de ses frères, Jean, Guy et Raymond. Seul Raymond, âgé de quinze ans, échappe à la déportation et à la mort. 

 

La Chapelle Saint-Pierre qui servit de refuge au noyau fondateur du maquis Vauban durant l’hiver 1943-1944.

Emile passe alors au maquis Tabou installé dans le Châtillonnais proche. La dissolution du maquis Tabou en décembre 1943 le contraint à rejoindre le maquis Henri Bourgogne, dirigé par Henri Camp, qui opère dans le secteur de Semur-en-Auxois. Ces deux maquis dépendent du SOE. Le maquis Henri Bourgogne a été durement ébranlé par l'attaque allemande du 30 octobre (tout comme le maquis Vauban décimé onze jours plus tôt). Il est en pleine restructuration et des maquisards comme Palazzi et Emile Philippot semblent avoir pris des initiatives controversées, multipliant les réquisitions sauvages qui leur seront reprochées après la guerre. Emile exécute (sur les ordres d'Henri Camp ?) le 10 janvier 1944 à Semur-en-Auxois, Melle Alice B., informatrice de la Gestapo, mais peut-être également des Anglais. 

 

Un mois plus tard, le 21 février 1944, Emile est arrêté par la Feldgendarmerie sur dénonciation. Il est jugé à Dijon et condamné par la cour spéciale aux travaux forcés à perpétuité. La Libération le sort de prison, le 10 septembre 1944, après avoir enduré sévices et tortures de la part de ses geôliers allemands. 

Emile revient à Ravières où il est à nouveau arrêté le 2 avril 1945, sous la grave inculpation de « trahison ». Il aurait dénoncé l'adjudant de gendarmerie Bocher de Semur, qui est mort en déportation. Son procès a lieu le 6 novembre 1945. Le procureur, qui écarte ses réels états de service dans la Résistance pour le faire passer pour un aventurier instable, réclame la peine de mort. Bénéficiant de circonstances atténuantes de la part des jurés, il est condamné à vingt ans de travaux forcés. La presse locale, notamment Le Bien Public, dans ses comptes rendus du procès, présente Philippot comme le symbole même du « faux maquisard », qui n’aurait agi qu’à des fins personnelles. Dans un contexte politique chargé en événements (referendum et élections de l'Assemblée constituante) le procès rencontre un faible écho, y compris dans la presse communiste. A l’exception de sa famille et de ses amis proches, Emile a été peu soutenu.

Sa mère Julie et son ami Victor Bolzan tentent de relancer l'affaire dans l'espoir d'obtenir la révision du procès, ou pour le moins la grâce. Victor Bolzan lance deux pétitions à Ravières. La direction du PCF de l'Yonne ne donne guère d'ampleur à la diffusion de cette pétition, puis son attitude change. Les débuts de la guerre froide, l'isolement politique du PCF engendrent une nouvelle stratégie qui débouche sur une campagne très active pour la révision du procès. Les articles se succèdent dans l'Yonne Républicaine et surtout dans la presse communiste : l’Yonne Libre , Ce soir , France d'abord. Emile Philippot reçoit le soutien de Robert Simon, président de la section d'Auxerre de la FNDIRP mais aussi rédacteur-directeur du Travailleur de l'Yonne, de François Grillot, d'Emile Proudhon, de René Millereau et celle, très pugnace, de Maria Valtat. 

Un comité de soutien s'organise en juin 1948. Il déborde largement la mouvance communiste. Le refus de la grâce d'Emile à l'occasion du 14 juillet est d'autant plus mal ressenti que celle-ci est accordée alors à Ducarme, l'un des chefs de la collaboration icaunaise. Plus grave : Emile Philippot  fait l'objet d'une deuxième inculpation (collective) pour vols qualifiés. Le 30 octobre 1948, la cour de Nancy (le procès ayant été « dépaysé ») juge « le groupe de Semur » et rend son verdict. Emile est condamné à cinq ans de réclusion, les autres accusés sont acquittés ou condamnés à des peines légères immédiatement amnistiées. 

Le comité Philippot lance une deuxième campagne et menace de troubler l'inauguration à Auxerre du monument aux martyrs de la déportation par le président Auriol. L'inauguration, repoussée, a lieu sans incidents au printemps 1949 et le président gracie Emile Philippot peu après. Emile, toujours interdit de séjour, quitte la région et retourne à l'anonymat. 

Sources : Chantin Robert, Des temps difficiles pour des résistants de Bourgogne, L'Harmattan, 2002. La Résistance dans l’Yonne, cédérom AERI-ARORY, 2004. Fabrice Grenard, La résistance en accusation. Les procès d’anciens FFI et FTP en France dans les années d’après-guerre, Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2016/2 N° 130, pages 121-136. Le maquisard Emile Philippot poursuivi pour vols qualifiés devant les assises de Nancy, Le Monde, 28 octobre 1948. 

Michel Baudot.

 

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