Septembre 1944 : La mise en place des nouveaux pouvoirs

Au  printemps 1944, le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF), soucieux d’éviter une possible mise sous tutelle du territoire français par les Alliés, et aussi une potentielle insurrection communiste, a pris des dispositions pour que soient créées de nouvelles institutions dès la Libération. Créées dans la clandestinité, elles s’installent au lendemain de la Libération.

Le préfet de la Libération

Emile Fauvet Président du CDL.

Le 24 août 1944, Paul Gibaud fait son entrée dans Auxerre libéré, aux côtés du colonel Sadoul (« Chevrier »), commandant des FFI, et de plusieurs chefs de la Résistance et s’installe à la préfecture. Le lendemain après-midi, le nouveau préfet se montre à la population auxerroise en liesse, en tête du défilé qui va de la place de la préfecture à la porte du Temple, aux côtés de Sadoul, Fovet, Cornillon et des principaux responsables de la Résistance auxerroise et icaunaise. La tâche qu’il a devant lui est lourde : installer de nouvelles municipalités, remettre en marche les transports et l’économie du département, assurer le ravitaillement des populations, contrôler et légaliser l’épuration. À ses côtés, le Comité départemental de Libération (CDL) de l’Yonne vient de s’installer à la préfecture. 

Le Comité départemental de Libération

Le CDL est un organisme de pouvoir autonome qui doit assister le préfet dans la mise en place des nouveaux pouvoirs et être une assemblée consultative. Il tient sa première séance plénière le 12 septembre 1944, presque trois semaines après la libération de la préfecture, hors de la présence du préfet. Les pouvoirs du CDL s’avèrent immédiatement très limités dans la mesure où il ne peut qu’émettre des vœux adressés au préfet et où il n’a aucun moyen financier pour fonctionner et ne vote aucun budget départemental. 

Des instructions du Conseil national de la Résistance (CNR) prévoient l’adjonction au CDL clandestin de personnalités représentatives qui peuvent être prises en dehors des mouvements de résistance, afin d’en faire une assemblée représentative de la physionomie politique du département. Émile Fovet, son président, procède donc à un premier élargissement. Le CDL comprend désormais onze membres, dont deux femmes, et reste orienté nettement à gauche. On observe un très net souci de recherche de représentativité politique et géographique et de modération politique. Un second élargissement aura lieu à l’automne 1944. 

Le CDL élargi s’organise pour mener à bien ses différentes missions : huit commissions sont créées, dont les plus importantes sont la commission d’épuration administrative et civile, présidée par Émile Fovet, la commission chargée du ravitaillement et des transports, présidée par Henri Cuinat, la commission chargée de l’information et de la propagande, présidée par Gaston Vée. En décembre sera créé un comité de confiscation des profits illicites. Si le CDL est bien représentatif des différents groupes sociaux et des différentes tendances politiques du département et s’il jouit d’une réelle autorité morale, il ne dispose d’aucun moyen financier pour son fonctionnement et ne peut qu’exprimer des vœux qui sont transmis au préfet, lequel n’est pas obligé d’en tenir compte et d’ailleurs n’assiste ordinairement pas à ses séances. 

Le CDL et le préfet sont alors en parfait accord dans leur volonté d’assurer à la Résistance la prise du pouvoir à la Libération. Gaston Vée, affirme que les premiers rapports du comité avec le préfet furent « cordiaux, presque amicaux, assez féconds ». Syndicaliste, homme de gauche, Paul Gibaud partage et défend avec les membres du CDL et leur président le programme socialiste et humaniste du CNR. 

Mais ces rapports vont assez vite se détériorer. Le préfet entend en effet appliquer strictement la politique du nouveau gouvernement. Celui-ci, conformément aux souhaits du général de Gaulle, s’efforce de ramener le calme en France et de refaire l’unité d’une nation profondément divisée par les événements récents, en évitant notamment de donner trop d’ampleur à l’épuration. Le CDL, lui, entend pratiquer une épuration en profondeur et sans faiblesse et punir tous ceux qui, à un degré quelconque, ont aidé l’ennemi, combattu la Résistance, soutenu le régime de Vichy, ou simplement profité des circonstances pour s’enrichir dans les trafics et le marché noir. 

Les Comités cantonaux et locaux de Libération

D’autres institutions temporaires apparaissent à d’autres échelles : les Comités cantonaux de Libération (CCL) et les Comités locaux de Libération (CLL). 

Les CCL se constituent entre septembre et décembre 1944 autour de quelques résistants sédentaires et notables locaux. Comme au sein du CDL, la gauche l’emporte assez nettement,  avec une légère prédominance des socialistes sur les communistes. En dehors du choix des membres des nouvelles municipalités provisoires mises en place après la Libération, il semble que ces comités aient eu surtout pour fonction de recueillir localement les plaintes, les témoignages et d’établir les dossiers à charge contre les personnes accusées de collaboration ou de marché noir, dossiers qu’ils transmettent ensuite à la commission d’épuration du CDL. Ils ont également aidé les municipalités dans l’organisation du ravitaillement et la lutte contre le marché noir. 

Parallèlement, des Comités locaux de Libération se sont créés spontanément un peu partout dans le département. Ils n’ont pas de statut officiel et semblent avoir existé dans la plupart des communes, mais certains n’ont dû avoir qu’une existence éphémère. Les seuls à avoir laissé des traces importantes de leur activité sont ceux d’Auxerre, de Sens et d’Avallon qui eurent, surtout celui d’Auxerre orienté très à gauche, une réelle activité. 

La naissance et l’activité de dizaines de Comités de libération, cantonaux et locaux issus de la Résistance témoigne de la vitalité démocratique durant les mois qui suivirent la libération du département, et de l’investissement des résistants dans la mise en œuvre des mesures souhaitées par la Résistance. 

L’installation de municipalités provisoires

Maurice Moutarde, Maire d'Auxerre à la Libération.

Le GPRF avait ordonné la dissolution des municipalités nommées ou maintenues en place par le régime de Vichy, et leur remplacement par des municipalités provisoires, composées de personnes ayant participé à la Résistance ou ayant manifesté clairement leur attachement aux valeurs de celle-ci, jusqu’à ce que des élections légales et démocratiques puissent avoir lieu. Si, dans la plupart des villages et des bourgs, il y eut peu de changement, dans les villes plus importantes, il y eut un réel renouvellement politique. Le préfet dissout les conseils municipaux par arrêté et nomme les membres des municipalités provisoires. 

À Auxerre, la situation semble simple : Jean Moreau, qui avait clairement défendu le régime de Vichy, présente sa démission et celle de son équipe au nouveau préfet. Celui-ci demande au docteur Maurice Moutarde, personnalité bien connue des Auxerrois, et qui avait à diverses reprises apporté son aide à la Résistance, de diriger la municipalité provisoire. Ce dernier n’accepte qu’avec beaucoup de réticences. La situation est en effet plus complexe qu’il n’y paraît. Jean Moreau a gardé la confiance et l’estime d’une bonne partie de la population auxerroise, qui juge que son action a été efficace et prudente pendant l’Occupation et ne le considère pas comme un collaborateur. La cérémonie officielle d’installation de la nouvelle municipalité a lieu le 3 septembre à l’Hôtel de Ville. Le docteur Moutarde s’y montre particulièrement prudent et conciliant : après avoir assuré la population qu’il n’a aucune ambition politique, qu’il n’a accepté cette fonction que par devoir patriotique et qu’il se retirera dès que les problèmes les plus urgents seront résolus, il rend un éloge appuyé à l’action de la précédente municipalité et affirme même qu’il se place dans la continuité de celle-ci ! 

La municipalité provisoire de Sens. Au centre, au centre Maxime Cortis, à sa gauche Paul Gibaud Préfet de la Libération.

Le nouveau maire de Sens, Maxime Courtis, est une figure de la Résistance sénonaise ; socialiste, responsable du Front national de Sens pendant l’Occupation, il est membre du CDL. La gauche est largement représentée au sein de ce nouveau conseil municipal, avec, comme à Auxerre, quelques communistes et de nombreux socialistes. Mais la situation est tout de même un peu particulière : en effet l’ancien maire, Lazare Bertrand, élu en 1935 et maintenu en place par Vichy, a été arrêté par les Allemands, le 14 juin 1944, comme otage et déporté à Neuengamme, où il se trouve encore à cette date. Symboliquement, il est nommé membre du nouveau conseil municipal et l’arrêté préfectoral établit qu’il pourra reprendre sa place de maire, s’il le désire, à son retour de déportation. De même, trois résistants sénonais, le docteur Ragot, Léon Vernis et Jean Mader, alors déportés, sont eux aussi nommés membres du conseil municipal provisoire. Lors de la cérémonie officielle d’installation qui a lieu le 10 septembre en présence du préfet et du sous-préfet de Sens, quatre fauteuils vides barrés de tricolore symbolisent l’appartenance de ces quatre déportés au nouveau consei

Le conseil municipal de Sens en séance. Au centre le fauteuil vide de Lazare Bertrand.

À Avallon, ville où la droite règne sans partage depuis longtemps, les choses se passeront assez différemment, et plus tardivement. Le préfet ne tient que partiellement compte de la liste établie par le CCL et le CLL, en désignant, en novembre seulement, seize conseillers municipaux : la moitié sont des élus de 1935 maintenus en place par Vichy, dont le maire, Georges Schiever, et l’autre moitié des résistants choisis dans la liste proposée par le CCL. Le CCL proteste et exige la nomination de nouveaux conseillers ; le préfet cède à ces exigences et nomme, en janvier 1945, cinq nouveaux conseillers « ayant donné des gages à la Résistance ». La Résistance a désormais la majorité dans le nouveau conseil municipal. 

Le compromis avallonnais, maintien en place d’une partie des conseillers municipaux élus en 1935 et maintenus par Vichy, et adjonction de nouveaux conseillers représentant la Résistance, fut adopté dans de nombreuses localités, comme Migennes, Brienon, Saint-Florentin etc., pour ne pas mécontenter une population locale qui avait gardé sa confiance dans des élus qui ne s’étaient pas compromis sous l’Occupation. 

 

Claude Delasselle et Joël Drogland.

 

Pour en savoir plus : Delasselle Claude, Drogland Joël, Gand Frédéric, Roblin Thierry, Rolley Jean, Un département dans la guerre 1939-1945. Occupation, Collaboration et Résistance dans l'Yonne, Tirésias, 2007, chapitre 15. Joël Drogland, Résistance et pouvoir à la Libération. Le Comité départemental de libération  l’Yonne, Yonne mémoire n°44, novembre 2020. Michel Baudot, Les CCL du Tonnerrois et de l’Avallonnais, cédérom La Résistance dans l’Yonne, AERI-ARORY, 2004. Claude Delasselle et Joël Drogland, L’après-Libération : le difficile retour à la normale, fin août-octobre 1944, Yonne mémoire n° 52, à paraître en octobre 2024.

 

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