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Roger Bardet |
Roger Bardet est né à Lyon le 14 mars 1916. Après des études secondaires, il obtient en juillet 1938 à la faculté des sciences de Lyon son diplôme d’ingénieur chimiste. Il travaille dans la firme Rhône-Poulenc. Lieutenant de réserve dans l'armée de l'Air, Roger Bardet, après avoir vainement tenté de rejoindre l’Angleterre, s’engage dans la Résistance à partir de septembre 1942 au sein du réseau Carte dirigé en partie par Henri Frager. Lorsque ce dernier décide de créer le réseau Jean-Marie à partir de décembre 1942, Bardet le suit. Rapidement il en devient un adjoint très actif. Bardet (« Duraux ») opère essentiellement dans le sud de la France. Il est arrêté deux fois par la police française ; il réussit à s’échapper à Nice le 2 décembre 1942 et à Aix-en-Provence le 15 janvier 1943.
En mars 1943, le PC du réseau Jean-Marie est installé en Savoie, à Saint-Jorioz, dans la banlieue d’Annecy. Roger Bardet s’y trouve auprès d’André Marsac, second de Frager. Marsac, chargé de reconstituer une antenne du réseau à Paris, est arrêté par Hugo Bleicher, agent de l’Abwehr, le 25 mars 1943. Piégé, il livre en détail l’organisation du réseau. Début avril 1943, à son tour, Bardet tombe dans les griffes de l’Abwehr, le 15 avril 1943.
Détenu à la prison de Fresnes, il refuse la captivité : «Au retour de Bleicher, je lui ai bien déclaré que si je devais attendre jusqu'à la fin de la guerre dans une cellule comme celle dans laquelle je me trouvais, je ne pourrais le supporter et que j’acceptais de travailler pour lui, ajoutant que je le remercierais de m’avoir rendu la liberté, uniquement par mon travail. » Bardet devient agent à la solde de l’Abwehr sous le pseudonyme de « Dick », matricule n° 8010. Dans un portrait tracé par ses supérieurs, l’agent « Dick » est qualifié « d’homme habile et énergique remplissant d’une manière digne de confiance les tâches qu’on lui assignait ».
Bardet reprend contact avec son chef, Frager. Ce dernier, après une période imposée de quarantaine, lui maintient sa confiance. L’agent « Dick » accomplit dès lors sa mission d’informateur auprès de Bleicher. Bardet, auquel Bleicher adjoint un agent double, Kiffer (« Kiki »), aurait livré sept à huit parachutages, principalement en Normandie et en région parisienne. Il fournit également un double des télégrammes envoyés à Londres par Frager ainsi que des instructions communiquées à la BBC, donnant la clé des messages des consignes destinées au maquis après le débarquement. Bleicher est informé sur l’arrivée de chaque agent venu d’Angleterre. La pénétration du réseau par l’Abwehr est total
Cependant à l’approche du débarquement, Bardet sans doute conscient que la défaite allemande est inéluctable, décide d’opérer une volte-face. Il quitte Paris fin mai 1944 pour l’Yonne où Frager a installé le PC du réseau. Bardet participe activement à sa réorganisation. L’exécution d’Alain de la Roussilhe, le 3 juin 1944, intervient dans ce contexte. Par la suite, il tente par deux fois d’éliminer Bleicher venu dans l’Yonne début juillet afin de reprendre contact avec son agent double. Après l’arrestation de Frager le 2 juillet, Roger Bardet, secondé par Jacques Adam, prend le commandement du réseau. Le commandant « Roger » délègue ses pouvoirs à Jean Guyet et Guy Héricault. Bardet installe le PC à Sommecaise où il est contacté par des membres de la mission Jedburgh « Bruce », à la mi-août 1944.
Roger Bardet est arrêté le 28 octobre 1944 à Joigny. Placé sous mandat de dépôt le 5 décembre 1945 puis détenu à Fresnes, il tente de s’évader dans la nuit du 27 au 28 avril 1946. Il est jugé en décembre 1949, inculpé d’attentats à la Sûreté extérieure de l’Etat. Il est accusé d’avoir infiltré le réseau Jean-Marie Buckmaster pour le compte de l’Abwehr d’avril 1943 à juin 1944. Bardet reconnaît les faits mais affirme qu’il a joué un rôle d’agent double avec l’accord de son supérieur, Henri Frager, depuis mars 1943. Un jeu difficile et dangereux pour lequel il n’était pas préparé, s’empresse-t-il d’ajouter.
Bardet dit-il la vérité ? Sa défense est-elle plausible ? Elle s’appuie sur un Frager décédé au moment du procès car fusillé à Buchenwald en octobre 1944. L’examen approfondi des notes de Frager rédigées lors de son séjour à Londres de 1943 à février 1944 montre que Frager était totalement étranger aux intrigues de Bardet. Son seul tort est sans aucun doute d’avoir manifesté une confiance aveugle envers un second de plus en plus suspecté par Londres : «J’ai passé comme je vous l’ai dit quatre premières semaines épouvantables où j’ai eu le sentiment que Roger était (…) sur la sellette (…) ». Les allégations de Bardet ne sont pas jugées satisfaisantes par les jurés et le juge Donsimoni. Bardet est condamné le 16 décembre par la Cour de Justice de la Seine à la peine capitale. Après quelques années de prison à Fresnes, il est gracié en 1959 par le général de Gaulle, président de la République. Il se retire dans la région lyonnaise où il reprend une activité professionnelle dans l’industrie chimique.
La culpabilité de Bardet a donc été prouvée. Un rapport d’un commissaire des Renseignements généraux note que « Roger Bardet était un des plus turbulents et des plus redoutables « condottiere » de notre département. Il possédait un grand ascendant sur sa troupe à laquelle il a su insuffler un dynamisme et un mépris du danger uniques dans notre région. Il s’était signalé dès le début de la Libération par la férocité de ses procédés, l’exécution sommaire de nombreux agents allemands et il était dès cette époque possible de penser que Roger Bardet ne faisait pas œuvre de justicier mais bien plutôt supprimait des témoins gênants de ses relations avec les autorités allemandes… »
Cependant son cas a suscité une violente polémique à l’occasion d’une exposition sur la Résistance organisée à Auxerre, passage Soufflot, le 3 mai 1982 où la photographie de Roger Bardet figurait en bonne place. Certains jugent que le portrait de Bardet « travaillant pour la Gestapo à l’échelon national, condamné à mort pour trahison par un tribunal français... » n’avait pas sa place dans cette exposition. L’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR), par la voix de son président du moment, Robert Bailly, décide de camoufler la photo. Initiative qui déplait au président de l’Amicale Chevreuil, François Jussot qui s’étonne « qu’une photo réalisée depuis longtemps par les anciens du groupe puisse faire l’objet aujourd’hui de polémique et d’ingérence.» Jussot représente la tendance de ceux qui refusent d’admettre la culpabilité de leur chef. Ils étaient relativement nombreux. Créant une association en 1949, « Les amis de Paul, amicale des anciens Combattants du réseau et des maquis créés par Paul en 1942-1944 », ils avaient tenté sans succès de provoquer la révision du procès Bardet. Ils étaient persuadés que le double jeu avait été organisé par Frager afin d’infiltrer l’Abwehr. L’association fait appel à des témoignages d’anciens compagnons de résistance comme Bénouville (« Barrès »).
Sources : AN, Z6/862 et 863 (dossier Bardet N° 5790) ; 72 AJ 7 (déposition d’Hugo Bleicher du 17 octobre 1945) ; AN, 72 AJ 6 (déposition de Roger Bardet).ADY ; AN 72 AJ 83 (dossier Jedburgh, mission Bruce) ; Arch. Dép. Yonne, 1 W 26 (rapport du commissaire des RG de l’Yonne, le 3 août 1944). Archives privées de François Jussot, lettre rédigée par l’association, Les Amis de Paul, 22 décembre 1949. Témoignage de François Jussot (2001). Loffroy Robert, Souvenirs de guerre, manuscrit inédit.
Thierry Roblin
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